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Le pavillon des cultures
11 décembre 2006

Swan Lake, de Matthew Bourne

affiche

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Ce week-end je suis allé voir l’adaptation du Lac des Cygnes par Matthew Bourne : Swan Lake (théâtre Mogador à Paris). Et je suis extrêmement enthousiaste ! C’est une réinterprétation du ballet très vivante, sans toutefois perdre la magie de départ ni de la trame ni de la musique de Tchaïkovski. Mais le dépoussiérage est total, et la lecture faite des motifs du ballet est saisissante. Cela fait une dizaine d’année que cette version sillonne le monde en récoltant à la fois un succès populaire et critique partout où il passe. Ce Swan Lake est l’occasion pour ceux qui aiment les ballets de d’aller à la rencontre d’une autre lecture des classiques et de voir une autre pratique de la danse, moins gracieuse peut-être, mais jouant de puissance de manière magnifique ; et pour ceux qui ne connaissent pas la danse de découvrir cet univers via le contemporain revisitant le classique. C’est vraiment jubilatoire : drôle, émouvant, beau ! Pour avoir vu cet été une version ultra classique dans le temple sacré du ballet, Saint-Petersbourg, je mesure la qualité de cette adaptation irrévérencieuse et inventive. Présentation du ballet pour comprendre l’écart créé entre l’original et la version nouvelle.

Le ballet à l’origine fait quatre actes. Mais on utilise en général une version remaniée de la partition ne comprenant que trois actes avec le premier en deux temps. Certains airs sont déplacés etc. L’histoire de base est assez simple. Un prince atteint sa majorité. Sa mère lui indique qu’il doit se marier et qu’il choisira sa future lors du bal du lendemain. Dépité par le fait de ne pouvoir choisir sa femme par amour le prince erre à côté du lac, s’apprête à tirer sur un cygne. Mais il découvre au milieu des oiseaux une femme dont il tombe amoureux. Celle-ci, princesse, lui explique que, victime d’une malédiction jetée par un sorcier, elle est cygne le jour, femme la nuit. Pour briser la malédiction le prince doit l’épouser. Lors du bal, le sorcier amène sa fille, sosie de la princesse-cygne. C’est le cygne noir. Le prince est dupe et danse avec le cygne noir. Le dernier acte est celui de la résolution de la méprise et varie selon les mises en scène. En majorité assez triste (suicide mutuel des amants, abandon du cygne, etc.).

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swan_2

Le Swan Lake de Bourne conserve le schéma général, ainsi que les thèmes principaux de l’idéal fuyant et fantasmé. Et il suit la structure globale avec quatre moments successifs distincts. Le Prince se lève d’abord et « subit » une journée royale. Puis il erre du côté du lac et danse avec les cygnes. Il rencontre le cygne noir lors du bal le lendemain. Enfin ses retrouvailles avec le Cygne se font dans la mort. Mais tout la signification du ballet se trouve métamorphosée par une série de déplacements et transformations dont la plus notable est celle qui voit la princesse-cygne devenir un homme… La trame sous-jacente recèle alors la question du désir homosexuel refoulé du prince. Dit ainsi cela paraît grossier. Pourtant le thème est traité très subtilement et ne se donne à lire qu’en filigrane. Et les autres personnages permettent de varier autour du motif et du principe de subversion. Ainsi la mère qui entretient une relation très incestueuse avec son fils, l’Œdipe étant sous-jacent tout du long. En contrepoint un personnage de courtisane maladroite tient le rôle effacé et dégradé de la princesse amoureuse du Prince et qu’il néglige finalement. Les motifs originaux sont ainsi profondément retravaillés.

Les scènes du ballet sont très modernisées, et permettent de soutenir l’intérêt des moments les plus « faibles » du ballet d’origine. Et notamment le début, très poussif dans la version classique. Là le réveil du Prince introduit les thèmes des cygnes en arrière-plan, le rapport à la mère, et un côté music-hall frénétique, jubilatoire et comique. Puis la scène est mise en abyme avec une parodie du ballet lui-même, mettant aux prises des gentils papillons (travestis ?), un bûcheron grotesque, et des satires à la libido débordante. J’ai adoré ce moment qui m’avait semblé long à Saint-Pétersbourg. Puis le prince, incapable de dormir, après avoir flirté avec sa mère, va noyer son chagrin dans un club, y retrouve la courtisane qui lui avait plu le matin, mais découvre son statut de prostituée (en gros, d’après ce que j’ai compris…). Victime d’une rixe, il atterrit au bord du lac, et les cygnes apparaissent. C’est le grand moment du ballet à l’origine. Ici la grâce fait place à la puissance. Et la quinzaine de danseurs hommes est splendide. C’est très impressionnant, même si j’avais là préféré l’original et les pas de la danseuse étoile à Saint-Pétersbourg. Mais ma douce et tendre a elle été très sensible au charme des cygnes crus Bourne, au point de me demander de les imiter le soir (confession honteuse…). Mais c’est surtout la seconde partie du ballet qui est véritablement stupéfiante. Le bal avec le Cygne noir est absolument génial, et les couples emblématiques qui s’enchaînent sur scène sont formidables à suivre. C’est vivant, drôle, et sensuel. Le cygne noir est un voyou tombeur, et le prince n’est courtisé par personne, complètement éclipsé par son alter ego, rôdant autour du cygne noir comme les invitées du bal dont les compagnons manifestent vivement leur jalousie, ou comme la mère qui espère un faire son prochain gigolo. Le dernier temps du ballet est splendide également, glissant de l’angoisse de l’hôpital psychiatrique à l’évasion par le rêve qui devient cauchemar, le cygne défendant son amant contre ses semblables. C’est d’une réelle beauté.

La force de cette adaptation est sa liberté de ton et de discours, et la manière dont il réinterprète à la fois le livret mais aussi la danse, passant du classique au contemporain. On peut y voir un côté gadget, et les puristes chipoteront sûrement. Mais tout ce que ce spectacle apporte, malgré son exubérance, ne m’a pas semblé outrancier ou exagéré. Les effets sont justifiés, et le discours tenu se tient, poétique et politique à la fois. Il y a une dérision profonde, et une conscience aiguë des ressorts et procédés du ballet. On sourit, tremble, rit, pleure tour à tour. C’est à la fois subversif et populaire, sapant les codes du genre et du ballet lui-même, et proposant une esthétique directe et limpide susceptible de parler et de plaire au plus grand nombre. Ou comment évoquer des thèmes assez modernes, à travers une forme ancienne, avec des mécanismes simples et efficaces. Un lien pour ceux qui veulent en savoir un peu plus, en attendant que le ballet revienne à Paris…

http://www.swanlake-lespectacle.com/

bed_prince

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