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Le pavillon des cultures
4 décembre 2006

Yves Klein : Corps, Couleurs, Immatériel

Un article pour vous parler de l’expo qui se tient actuellement à Beaubourg en ce moment à Paris, du 5 octobre 2006 au 5 févier 2007. Elle retrace la carrière du peintre Yves Klein dont tout le monde connaît le célèbre bleu (IKB, pour International Klein Blue), mais dont on connaît peu le reste de l’œuvre. J’y suis allé un peu dubitatif et en suis ressorti enchanté. Ca a été l’occasion de redécouvrir cet artiste sur lequel j’avais pas mal d’idées reçues. Je vous présente donc cette expo histoire de vous convaincre d’y aller.

triptyque

Klein : sa vie/ son œuvre

Sa vie

La première grosse découverte que j’ai fait à travers cette expo aura été de mesurer la brièveté de la vie de Klein. Son bleu nous étant à ce point familier je pensais que a carrière avait été assez longue. Or Klein n’a vécu que 34 ans : né en 1928 il meurt en 1962. Sa carrière est donc fulgurante, et s’échelonne sur très peu d’années. D’autres éléments intéressants se donnent également à savoir. Ses parents étaient peintres eux-mêmes, le père figuratif et la mère dans l’abstraction. Et il n’est pas anodin d’entendre alors Klein clamer qu’il faisait du figuratif en peignant ses monochromes, toiles perçues comme abstraites. En outre l’on trouve à la librairie de l’expo un livre sur Klein et sa mère, mettant en parallèle leurs œuvres : le choix de ses couleurs fétiches par Klein (bleu, rose et doré) prend là une résonance particulière. Mais Klein ne se destine pas d’abord à l’art. Sa priorité se situe vers le Judo alors pratique d’éduction spirituelle (1947). Il y rencontre le futur artiste Arman. En 1952 il va se perfectionner au Japon et devient ceinture noire 4è dan, premier français à obtenir ce grade. Il écrit d’ailleurs un livre sur cet art martial (aujourd’hui réédité). De retour en France il s’oppose à la fédération qui lui refuse d’enseigner. Il fonde sa propre école en 1955 qu’il doit fermer l’année suivante pour raisons financières. Mais l’art plastique est toujours là sous-jacent : les photos connues d’envol sont prises depuis le centre de formation sportif à Fontenay-aux-roses, et son école est déjà décorée de monochromes par ses soins. Sa quête spirituelle passe aussi par une passion précoce pour les Rose-Croix qui nourrit son goût pour les monochromes et qui inspirera une série de toiles (Cosmogonies, en hommage au livre fondateur de l’ordre),  ainsi que par la lecture des rêveries élémentaires de Gaston Bachelard. Tout cela constitue une sorte de bain d’où émerge sa production artistique, marquée me semble-t-il d’emblée par un fort mysticisme. Du moins est-ce comme cela que j’ai ressenti son travail et sa recherche à travers l’expo.

saut_vide

Son œuvre

Avant l’expo je ne connaissais de Klein que ses bleus qu’on essaie de nous resservir à toutes les sauces et à toutes les occasions – l’illumination assez minable de l’obélisque de la Concorde lors de la dernière Nuit Blanche en est un exemple – et l’anecdote de mon parrain qui a vu l’expo sur le vide de 1958 et qui à chaque fois qu’on parle de Klein nous racontait sa surprise et son désarroi devant cette galerie entièrement vide, juste peinte en blanc. La caricature de l’art conceptuel en somme. Or comme souvent dans des cas comme celui-ci, pour distinguer la supercherie de la recherche artistique il s’agit d’envisager la production dans une continuité, de questionner la démarche. Et de ce point de vue l’expo est utile : elle permet d’échapper en partie à la caricature et réussit à faire sentir la tension de cette quête, le mouvement de cette création, avec ses succès et ses échecs. Outre le bleu, l’on mesure donc le jeu du rose et du doré dans les monochromes, la recherche autour de thématiques élémentaires, et la place essentielle de la matière dans tout ce que l’artiste entreprend. Je vais développer les choses qui m’ont le plus fortement marqué, et juste souligner ce qui ne m’a pas intéressé ou que je n’ai pas compris.

Klein : l’expo

Les couleurs

C’est évidemment le premier truc auquel on associe Klein à travers son bleu. L’expo montre qu’avant de « trouver » ce bleu Klein s’essaie à différents monochromes à partir de couleurs « simples » : bleu, vert, rose, argent, doré, etc. De là se dégage une recherche qui gravite autour de trois couleurs finalement : le bleu, le rose et le doré. Pour la première, la trouvaille est immédiate, et l’impression rendue par le contact avec ces grandes formes est saisissante. C’est ce que l’on connaît de mieux de Klein, mais cela se justifie : la présence de ces toiles, avec supports différents, est forte, et renforcée encore par la multiplication des toiles. Ce bleu devient immédiatement un outil efficace dans une mise en scène du plein et du vide, justifiant les recherches annexes autour du blanc auquel se confronte le bleu. C’est l’espace qui est en jeu dans le monochrome de Klein : ce qu’il rend présent et ce qu’il efface. Cela le conduit naturellement aux deux autres couleurs, rose et dorée, qui permettent de prolonger cette exploration de la matière dont je vais parler ensuite. Le rose portera la matière par la métaphore de la chair, le doré par la technique qu’il impose et le métal auquel il renvoie.

Mais si le bleu est immédiatement trouvé, il faudra attendre pour obtenir un rose et un doré satisfaisant. Pour le doré, c’est la technique qu’il faut mettre au point, et qui limite son usage (Klein se formera à la dorure). Mais il fonctionne assez rapidement, ne serait-ce que par l’imaginaire qu’il draine et par les références picturales qui le supportent : le doré s’inscrit dans une tradition qui lui assure une certaine assise. Pour le rose en revanche, pour moi, il faut attendre assez longtemps pour obtenir quelque chose qui s’impose au spectateur, à l’œil. Pour moi encore, les premiers roses sont ratés, « laids ». La couleur n’est pas au point, ne fait pas présence totale. Mais à la fin de l’expo, quand Klein commence à mêler ses couleurs, c’est, sent-on, parce qu’elles sont abouties, et qu’il peut commencer à composer avec. Il s’est créer sa palette, entièrement renouvelée avec un jeu de couleurs restreint mais « nouveau ». En cela cette quête des couleurs est déjà très émouvante. Et les résultats sont impressionnants : la dernière salle est stupéfiante.

ikb

La matière

Les couleurs de Klein construisent donc un rapport étroit à la matière en la situant dans une quête spirituelle. La surface bleue, la chair rose et le métal doré deviennent matière qui fait face à la toile blanche et mettent en scène cet affrontement matière/vide, le plein devant suggéré l’immatériel comme le dit le titre de l’expo. En plus de ses couleurs, Klein part à la recherche d’outils et d’objets pour travailler sa couleur, la mettre en relief, lui donner une consistance qui accentue et creuse ce jeu de la matière. Pour cela il recourt d’abord à l’usage de ses éponges qui d’instruments deviennent objets figurant sur la toile même. Elles trempent dans la peinture, en absorbent la couleur, et composent l’espace de la toile, tout en suggérant l’effacement de leur fonction première. Matière creuse, l’éponge est alors souvent environnée de cailloux qui densifient encore ce jeu entre matériel et immatériel. Je n’ai pas été « saisi » par cela, par l’effet produit,  mais cette démarche m’a semblé néanmoins très intéressante.

Cette recherche se poursuit à partir de la séparation entre figuration et abstraction, Klein se situant à cette frontière de la recherche plastique qui mêle les deux, glissant vers le conceptuel et même vers la performance. Il décide alors de demander à ses modèles de se badigeonner de peinture et d’aller laisser l’empreinte de leur corps sur la toile. C’est ce qu’il appelle les anthropométries. Dans l’expo se côtoient les toiles et des films de leur réalisation. Je dois bien avouer que cette partie de son œuvre m’a d’abord semblé un peu gadget et datée : ça évoque en plein les années soixante et la lutte pour la libération des mœurs et des esprits. De plus, les réalisations en bleu m’évoquaient à la fois les silhouettes de Matisse et les mouvements de Michaux, œuvres pour lesquelles j’ai une profonde admiration. Mais ces références culturelles ou artistiques font manquer le sens de la démarche personnelle de Klein. En s’attardant sur ce qu’il fait et sur ce qu’il dit l’on comprend en quoi ses toiles sont à la fois abstraction et figuration. Klein conserve le modèle, mais il en fait un outil, un pinceau vivant. On ne peint plus le modèle mais avec le modèle. La matière prend là une valeur nouvelle, et le bleu se trouve superposé au rose de la chair des corps. Bref là encore une recherche à l’œuvre, et quelque chose de pertinent.
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anthropometries

Les éléments

Il s’agit là du versant pour moi le plus original de Klein, celui que j’ignorais complètement. A partir de ses recherches sur la couleur et la matière, Klein élabore une théorie sur une architecture de l’air. Le mysticisme fonctionne là à plein, et les dessins qui en découle m’ont franchement laissé sceptique. Mais derrière ce jeu un peu vain pour moi, Klein a une idée diabolique : saisir la trace, la forme du feu. Il entreprend alors d’imprimer sur la toile le mouvement du feu, son alliance avec le souffle, et pour cela il recourt à l’eau comme outil. Klein prend de grandes toiles, les asperge d’eau, et les passe au chalumeau. La toile se noircit alors plus ou moins en fonction de l’humidité de telle ou telle zones de la toile. Des formes de feu apparaissent physiquement. Il déclinera cette idée en fonction de ses autres recherche : des corps laisseront leur empreinte humide d’abord invisible sur la toile que l’artiste « révèle » au chalumeau, ou encore il mêlera couleur et technique de feu. Ce travail constitue pour moi la trouvaille la plus étonnante et la plus touchante de l’exposition, celle qui montre la pleine dimension de recherche de la démarche de Klein. Ca justifie en soi de se déplacer pour voir l’expo !

feu

Bref une bonne expo à aller voir absolument, loin des idées reçues sur l’artiste, intéressante et accessible. Je mets à la fin en lien un «dossier pédagogique» que je viens de trouver et édité par le centre Pompidou en marge de l’expo. Il est très bien fait et propose une vision plus «orthodoxe» peut-être de l’œuvre que la mienne, mais très claire. Deux bémols toutefois à l’égard de l’expo. J’ai été assez horripilé par les phrases qui servent d’exergue aux différentes salles. Ce sont comme souvent des citations de l’artiste, mais là ça confine à la caricature de ces grandes phrases clichés qui font la si mauvaise réputation de l’art conceptuel et contemporain. Elles se posent comme dogme absolu, parole intransigeante alors que l’expo montre au contraire toute la légitimité et le labeur d’une quête artistique. C’est vraiment dommage je trouve, et ça m’a agacé car ça ne rend pas justice à la démarche ni de l’artiste ni de l’expo. Le pendant de cela est la faible explication donnée à certains moments durant l’exposition. Pour la salle des peintures ignées, par exemple il faut se mettre à quatre pattes pour écouter les sonos pour enfants afin de comprendre le détail du processus de création. Enfin de ne sont là que de petits détails qui ne gâchent pas le plaisir de la visite.

http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Klein/ENS-klein.htm

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Commentaires
J
tout est nul changer de stil
Le pavillon des cultures
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